Seigneurie ou maison noble
BEIGNON
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Morbihan
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La bataille d'Auray (29 septembre 1364) est la dernière bataille de la guerre de succession de Bretagne, guerre régionale qui s'inscrit dans la rivalité franco-anglaise de la guerre de Cent Ans. Elle oppose une armée anglo-bretonne aux ordres de Jean IV de Montfort à une force franco-bretonne soutenant le parti de Charles de Blois. Prélude Au début de 1364, après l'échec des négociations d'Évran, le jeune Jean IV de Bretagne, fils de Jean de Montfort, vient attaquer Auray avec l'aide de l'Anglais John Chandos, aux mains des Franco-Bretons depuis 1342. Il entre dans Auray et assiège le château que bloquent par mer les navires de Nicolas Bouchart en provenance du Croisic. Les vivres venant à manquer, les assiégés acceptent de rendre la place, si les secours n'arrivent pas avant la Saint-Michel. Le 27 septembre, tandis que Charles de Blois est à l'abbaye Notre-Dame de Lanvaux, du Guesclin, qui commande l'avant-garde, se trouve à Brandivy. Le 28, du Guesclin vient s'installer sur la rive gauche du Loc'h, en vue du château. Pour éviter de se trouver entre le château et l'armée française, Jean IV évacue Auray et se place face à l'ennemi, sur le coteau de la rive droite. Le 29, des tentatives d'accord ont lieu, sans succès et Charles de Blois ordonne l'attaque. Son armée passe la rivière et se range face au sud. Jean IV suit le mouvement et se range face au nord. Forces en présence Armée franco-bretonne de Charles de Blois À gauche le comte d'Auxerre, à droite du Guesclin, au centre Charles de Blois. Une faible réserve qui ne sera pas utilisée. Armée anglo-bretonne de Jean IV de Bretagne À droite Clisson, à gauche l'Anglais Robert Knolles, au centre Jean IV et l'Anglais Chandos. Une réserve importante prête à intervenir. Conséquences Cette victoire met fin à la guerre de succession de Bretagne et par le traité de Guérande, en 1365, le roi de France reconnaît Jean IV de Bretagne comme duc de Bretagne. Quelques historiens ont cependant prétendu que Charles de Blois et du Guesclin avaient commis la faute d'y poster leurs troupes le 29 septembre 1364. D'autres plus modérés se sont contentés de les accuser d'avoir imprudemment condamné leurs soldats à des fatigues excessives, en leur faisant traverser au pas de course ces immenses fondrières, au moment même d'engager une lutte mémorable, que devait décider du sort de la Bretagne. La fausseté de cette double assertion et de quelques autres relatives à la même bataille, et l'étrangeté des récits fantaisistes qu'on a brodés sur un pareil fond [Note : Voir en particulier celui de M. Jamison, écrivain armoricain et dernier biographe de du Guesclin], m'ont engagé à essayer de jeter quelque jour sur un événement, aussi important que la journée d'Auray dans les Annales générales de la France et de l'Angleterre, aussi capital dans nos annales particulières de Bretagne. L'avantage que j'ai sur mes devanciers d'avoir travaillé sur plusieurs documents inédits et d'une irréfragable autorité, d'y avoir étudié à loisir tout ce qui a trait à notre Guerre de la succession, et à la rivalité des maisons de Penthièvre et de Montfort, semblait m'autoriser à entreprendre ce travail avec quelques chances particulières de succès. Mon intention n'est pas cependant de me livrer, pour atteindre mon but, à une discussion de textes et de témoignages ordinairement fatigante et plus ou moins stérile. Il m'a paru plus à propos de me contenter de condenser et de fondre dans un récit suivi l'ensemble et la succession des faits tels qu'ils résultent des documents les plus autorisés et les plus dignes d'inspirer confiance. J'aurai soin, d'ailleurs, de citer les sources et de signaler les points controversés au fur et à mesure que l'occasion s'en présentera. Assise sur un rocher élevé, avec un petit port sur l'Océan et un château fort réputé imprenable, la modeste ville d'Auray ne manquait pas d'importance au point de vue stratégique au milieu du XIVème siècle. Sa position intermédiaire entre Hennebont et Vannes, deux villes occupées en 1364 par des garnisons anglaises lui donnait en outre, à cette date, une importance nouvelle et peut-être même plus considérable. De la sorte, en effet, la liberté de la mer dépendait de sa perte ou de sa conservation, et si le compétiteur de Charles de Blois s'en emparait, il devenait par-là maître de tout le littoral depuis Quimperlé jusqu'à Vannes, et au-delà. Aussi, dès qu'on apprit à Guingamp, où l'époux de Jeanne de Penthièvre faisait sa résidence, au mois d'août 1364, que le comte de Montfort, après s'être emparé de la Roche-Perion et de Sucinio, venait assiéger la ville dont nous parlons, Charles de Blois réunit son conseil, et il fut résolu, à l'unanimité, qu'on tenterait les derniers efforts pour délivrer Auray et l'empêcher de tomber aux mains des ennemis (Cuvelier. Poème sur du Guesclin. V. 5400 et suiv.). En conséquence, l'armée qu'on s'était appliqué à rassembler de tous les points de la Bretagne et de la France, depuis que le comte de Montfort avait donné à l'improviste le signal de la reprise des hostilités, fut dirigée de ce côté, et on lui assigna Josselin pour lieu de rendez-vous général. Cette petite ville, de la vicomté de Rohan offrait de grands avantages par sa position au centre de la Bretagne et à proximité d'Auray (Cuvelier. V. 5465). Bataille d'Auray Toutes les troupes dont l'effectif total pouvait comporter au plus dix ou quinze mille hommes, piétons et cavaliers [Note : Le nombre de 4.000 chevaux est donné d'une manière tout-à-fait approximative par le P. Péan de Quélen, de l'ordre des Frères-Mineurs. (Acta Canonisat. Carol Bles. T. 1, fol. 86). Les autres chiffres sont aussi problématiques. Les auteurs contemrains varient depuis 4.000 (Cuv. V. 5756. — Guill. de S.-André. V. 429. — Froissart, liv. Ier, Part. 2e, Chap. 189.) Jusqu’à 12 ou 15.000 hommes (Second continuateur de Nangis, ann. 1361). Cet auteur, d'ordinaire assez bien renseigné, porte, en effet, à 10.000 le nombre des morts et des blessés, ce qui, avec les prisonniers et les fuyards, équivaudrait apparemment à un total de 12 à 15.000 hommes], se réunirent donc en ce lieu et y prirent leurs premières dispositions pour l'entrée en campagne. On s'empressa, avant tout, de déférer le commandement général au vainqueur de Cocherel. L'intrépidité déjà proverbiale de Bertrand du Guesclin, son expérience et son habileté connues n'étaient pas de trop dans la circonstance. On savait, en effet, que le comte de Montfort, de son côté, avait mis à la tête de ses troupes un homme de guerre du premier mérite. C'était Jean Chandos, le vainqueur de Poitiers, le plus habile tacticien de son temps. Les deux plus grandes renommées militaires du XIVème siècle allaient ainsi se trouver face à face, peut-être pour la première fois ; ils allaient engager l'un contre l'autre un combat sanglant et s'y disputer à la tête de leurs bataillons le prix du courage et de l'habileté. Maintenant les troupes dont pouvaient disposer les deux généralissimes, étaient-elles égales ou inégales en nombre ? De quel côté se trouvait l'avantage numérique ? C'est là une double question qu'il nous paraît impossible de résoudre d'une manière catégorique [Note : Guillaume de Saint-André (V. 430) et la chronique des quatre premiers Valois donnent plus de troupes à Charles de Blois. Le continuateur de Nangis laisse la chose indécise]. Mais, en supposant même que du Guesclin ait pu avoir plus d'hommes sous ses ordres, numériquement parlant, il comptait, d'autre part, beaucoup de recrues dans ses rangs [Note : V. Act. Con., t. I, fol. 109, etc. — Cuvel. V. 5915. On le conclut d'ailleurs facilement, de la rapidité avec laquelle s'était faite cette levée d'hommes dans un pays déjà épuisé par les guerres précédentes], il ne pouvait opposer aux soldats de Chandos, aguerris et façonnés au métier des armes par un long exercice, que des débutants sans expérience, braves, sans doute, mais incapables de saisir une occasion favorable et d'en tirer profit, incapables, qui plus est, hélas ! d'éviter un piège habilement tendu. Malgré cet état de choses, notre capitaine Breton, fort du bon droit du Prince pour qui il combattait, mit sa confiance en Dieu et se garda de désespérer de l'issue de la journée qui se préparait. Il disposa en conséquence les rangs de son armée et lui fit prendre la route d'Auray. La distance pouvait être de douze ou quinze lieues (Renseignements communiqué par MM. les Agents-Voyers de Vannes). On la partagea en deux étapes afin de ne pas fatiguer les troupes. La première nuit, celle du 27 au 28 septembre, selon toute apparence, fut passée dans les environs de Lanvaux (Cuvel. V. 5760). Charles de Blois coucha dans le monastère de ce nom sur un simple lit de serge, selon son habitude constante (Act. Can., t. 2, fol. 158). Le 28 on se remit en marche par Plumergat. En peu d'heures on atteignit Keranna, aujourd’hui Ste-Anne, et ensuite les bois de Kermadio, sur la rive gauche du Loch ; mais il n'y eut qu'une partie des troupes à s'avancer si loin, le reste de l'armée s'échelonna entre ce manoir et les moulins du Duc en Trevalleray [Note : Chronique de la Chartreuse d'Auray (Vers et Prose). Seconde partie, p. 5 (Mts de l'abbaye de Solesme). Cette chronique est rédigée avec beaucoup de soin sur les titres originaux et sur les traditions les plus authentiques]. Quant au comte de Montfort, il ne commit pas la faute de s'exposer à être assiégé à son tour dans la ville d'Auray, dont il venait de s'emparer. Bien au contraire, quoiqu'il ne fut pas encore maître du château, à peine fut-il instruit par ses éclaireurs de l'approche de l'armée franco-bretonne, qu'il abandonna ses positions et vint occuper, sur la rive droite du Loch, les hauteurs de la Forêt et de Rostevel (ibid., fol. 6), dans les environs de la gare actuelle d'Auray. La rivière seule le séparait des soldats bretons, qui campaient dans le bois de Kermadio. Du Guesclin songea aussitôt aux moyens de la passer sans être inquiété par l'ennemi. C'est sans doute pour cela qu'il avait tant développé le front de ses lignes, car, de la sorte, Chandos ayant les yeux sur les bataillons, que avaient planté leurs tentes à Kermadio, ne portait pas ses vues plus loin, et n'avait nullement l'œil sur ce qui se passait à 1.000 ou 2.000 mètres plus haut. Le lieutenant de Charles de Blois profita de cette circonstance pour faire construire en toute hâte, un peu au-dessus du Kerso, une jetée en pierres, sorte de pont provisoire, au moyen duquel toute son armée put passer, sans coup férir, sur la rive droite du fleuve, avec chevaux, provisions, bagages, instruments de guerre [Note : Chronique Mte déjà citée, p. 6. Cette jetée en pierres était construite avec tant de solidité qu'elle a résisté à l'épreuve des siècles. Elle servait encore, en 1750, au moment des marées basses, nous dit notre Chartreux]. Cela fait, bien que la nuit fût peut-être déjà venue [Note : Cuvelier (V. 5859) assure qu'on eut besoin de falos et de brandos pour trasverser la rivière], le généralissime Breton ne voulut pas s'exposer au danger d'être attaqué en cet endroit par l'ennemi, et de la sorte acculé dans un marais sans issue. Il ordonna donc sur-le-champ à ses troupes de remonter le coteau assez abrupte, dont le Kerso forme le fond [Note : Ce point est rendu d'une certitude absolue par tous les titres originaux de la Chartreuse d'Auray, et surtout par un passage de son Nécrologe, où il est dit positivement que l'emplacement de l'église répond à l'endroit où Charles de Blois reçut le coup mortel. (Necrolog. Carthus, Albreiensis, die 29 septembris). Mss Gaignières, fond latin de la Bibliothèque nationale]. Après quoi, tournant un peu à l'ouest, il vint prendre ses campements dans une position avantageuse, « sur les hauteurs et la petite plaine qui sont entre la ferme de Marty, les tenues du Kerloix et du Kerléan » (Chronique mte, déjà citée, p. 6. — Les villages nommés entourent la Chartreuse à l'ouest, à l'est et au nord-est). Ce mouvement stratégique rapprocha considérablement les deux armées, puisque les tentes du comte de Montfort, de Chandos et des autres capitaines anglais n'étaient pas alors à plus de 1.500 ou 2.000 mètres des villages, dont les noms viennent d'être articulés. C'est donc sur ce terrain qu'allait s'engager la bataille qui devait décider du sort de la Bretagne. Charles de Blois, du Guesclin et leurs principaux lieutenants employèrent le reste de la nuit à prendre leurs dispositions pour le combat du lendemain. On crut à propos de répartir les troupes en quatre corps distincts et séparés, y compris celui de réserve. Le premier et le troisième, entièrement composés de Bretons, furent mis sous les ordres immédiats de du Guesclin et de Charles de Blois ; la direction du second, qui comprenait seul tous les contingents, Normands, Picards, Bourguignons, Gènevois, Angevins, (Guill. de S.-André. Poème cité. V. 1050 et suiv.), fut confiée aux comtes d'Auxerre et de Joigny. Enfin, les sires de Rieux, de Rays et de Tournemine reçurent le commandement des bataillons de réserve. On ignore si ces dispositions, identiques en tout à celles qu'avait adoptées le généralissime anglais, furent prises en connaissance de cause et dans le but d'opposer corps à corps, hommes à hommes ; mais il est toujours trop certain qu'on était mal renseigné dans le camp breton sur la nature des instructions données par Jean Chandos au commandant de son corps de réserve, Hues de Calviley. La suite du récit va en fournir la preuve aussi éloquente que douloureuse. Les chefs des trois autres divisions de l'armée anglo-bretonne étaient, pour la première, Robert Knolles ; pour la seconde, Matthieu de Gournay ; pour la troisième, le comte de Montfort, ou plutôt Jean Chandos en personne [Note : Ce qui est dit ici sur l'ordonnance réciproque des deux armées, ressort clairement du récit combiné des chroniqueurs contemporains, ou des renseignements fournis par les généalogistes Du Paz, Anselme, Morery, etc.]. L'énoncé de ces noms suffit à lui seul pour montrer qu'autant l'élément breton tenait une place considérable dans l'armée de Charles de Blois, autant il était réduit à ne remplir qu'un rôle comme imperceptible dans les rangs de celle de son rival [Note : Olivier de Clisson, un membre de la famille d'Epinay, un paysan, nommé Péramour. (Act. Can., t. II, fol 92), sont les seuls noms qui me soient connus dans le détail, V. en outre la liste des capitaines qui ont combattu pour Montfort, à Auray. Sur 80 noms, douze ou quinze à peine sont Bretons]. Note : Voici la liste des principaux capitaines ou aventuriers anglais, aquitains et espagnols qui figurèrent, en Bretagne, dans l'armée de Jean Chandos : Robert Knolles, Hues de Calviloy, Walther Huet, Thomas Percy, Willaume de Latimer, Richard Brulé, Mahé de Gorney (Gournay), Geoffroy Worresley, Huchon Felton, Robert Chaêne, Robert Milton, Willaume Bouteillier, Thomas Follifet, Rogier Hiltôn, Hochequin Roucel, Thoucelin Belle, Willaume Chelton, Geffroy Walton, Adam Hormeston, Henry Aquinsalle, Geoffroy Persaut, Richard Holme, Richard Doloron (d'Oléron), les deux David de Hulgrève, Esmond et Jehan de Cressewelle, Willaume Bardolt (Bardoul), Robert Braket, Henry et Jehan Brun, Jannekin Norbery, Folekin Volemer, Johan Nowel, Jehan Coupelande, Willaume Burtoun, Jehan Schakle, Phlipot More, Jehan et Jacques Ross, Huchon Harel, Robert Cary, Wauthier Lambard, Thomas Symond, Adam Hok, Robert de Neuville, Thomas Fouk, Willaume Soude, Thomas de Melbourne, Robert de Grenatres , Willaume Sichier, Jehan de Cornouaille, Thomas de Beauchamp, Richard Burley, Jehan Mainard, Jacques de la Planche, Jehan de Pert, Thomas Spencer, Willaume Sallon, Robert Strange, Hochequin Buckingham, Lopes de Saint-Julien, Jehan Lee, et les capitaines des routiers des grandes compagnies anglaises, Joachim Hadermiton, Robort Stoberiche, Willaume Huitchet, Gérard Salvien, Wilket Tee, Willaume Darton, Estienne Rak, Worlek, Richard Skirou, etc., etc. (Extrait d'une liste manuscrite dressée au XVIIIème siècle par Ives Duchesnay). La nuit du 28 septembre ayant été ainsi employée à disposer l'ordre de la bataille, le 29, au matin (c'était un dimanche), on s'empressa de célébrer des messes dans l'un et l'autre camp. Chacun se fit un devoir de purifier son âme par la confession, et de se mettre en état de paraître devant le Souverain Juge, si la mort venait à le frapper dans le cours du terrible combat qui allait commencer (Act. Can t. I, fol. 54, etc. Froissart, Liv. premier. Part. 2, chap. 192). On vit, en particulier, Charles de Blois s'agenouiller aux pieds du premier prêtre qu'il rencontra ; lui faire humblement l'aveu de ses fautes, assister ensuite au saint Sacrifice et y nourrir son âme du pain des forts. Ce qui ne l'empêcha pas, à une heure plus avancée du jour et pendant la bataille même, de renouveler encore sa confession auprès du Frère Guillaume Blondel, religieux Franciscain du couvent de Rennes, que remplissait habituellement à son égard ce ministère sacré (Act. Can., t. I, fol. 54, 66, etc). Cependant, quand le temps accordé de part et d'autre pour remplir les devoirs religieux eut été écoulé, les deux armées ordonnèrent leurs rangs et se préparèrent à s'entrechoquer dans une lutte formidable. Charles de Blois se tournant alors vers cette multitude frémissante d'une noble ardeur, qui l'entourait et n'attendait qu'un signal pour se porter en avant, commanda le silence et prit la parole. « Messeigneurs et mes amis, dit-il, en s'adressant à tous indistinctement, grands seigneurs, chevaliers et hommes du peuple, Messeigneurs et amis, s'il plaît à Dieu, la journée d'aujourd'hui nous sera favorable. Or, je vous le promets, s'il plaît à Dieu qu'il en soit ainsi, je vous récompenserai des travaux et des fatigues que vous avez endurés pour moi. Quant à mon peuple, il sera heureusement mis pour toujours à l'abri des souffrances et de l'oppression sous le poids desquelles il a gémi longtemps à notre occasion, sous le poids desquelles il gémit encore » (Act. Can, t. I, fol. 74). Pendant que l'époux de Jeanne de Penthièvre s'exprimait en termes empreints d'une si noble et si pieuse simplicité, pendant qu'il donnait ce nouveau témoignage de sa sollicitude constante pour les intérêts de son peuple, des parlementaires, envoyés par le comte de Montfort, se présentèrent aux avant-postes bretons avec mission d'entamer de nouvelles négociations pacifiques. Le sire de Rochefort-Assérac et le vicomte de Rohan furent chargés de les accueillir, d'écouter et de débattre leurs propositions. Or, il importe de le remarquer, ces propositions n'allaient à rien moins qu'à l'offre de renoncer à la bataille préparée et attendue avec tant d'anxiété. On mettait qu'une seule condition : « c'est que Chandos et ses compagnons d'armes conserveraient le droit de rançonner le pays à leur guise pendant cinq années entières ; comme ils l'avaient fait par le passé (Act. Can., t I, fol. 361). Cette condition était dure assurément. On ne pouvait se résigner à l'accepter que dans le désir d'arrêter de plus grands maux. Mais d'autre part, l'idée de prévenir une mêlée générale, à pareil jour et dans de telles circonstances, souriait si peu aux deux, mandataires de Charles de Blois qu'ils n'hésitèrent pas à opiner pour l'acceptation pure et simple de l'accommodement proposé par les négociateurs anglais. Le sire de Rochefort en vint même à déclarer hautement, qu'à son avis, la paix ne serait pas achetée trop chère, si c'était au prix de 10.000 impositions » (Act. Can., t. I, fol. 361). Pour Charles de Blois, il avait trop à cœur les intérêts de ses sujets, et connaissait trop par expérience la perfidie de ses ennemis pour se montrer d'aussi facile composition. Aussi, quand le chevalier Geoffroy de Dinan vint lui faire connaître officiellement quelles étaient les propositions du comte de Montfort, quand il ajouta que ses serviteurs les plus dévoués étaient d'avis qu'on fit droit à ces demandes. « A la garde de Dieu ! s'écria notre Duc, sans hésiter un seul instant, il m'est impossible de suivre l'avis qui m'est donné, j'aime cent fois mieux courir les chances d'une bataille livrée en faveur d'un peuple, dont les souffrances m'inspirent tant de compassion, que de laisser plus longtemps mes sujets à la merci de l'étranger » (Act. Can., t. I, fol. 361). Cette héroïque réponse diffère du tout au tout des paroles et des sentiments que des écrivains trompés ou trompeurs attribuent en ce moment à l'époux de Jeanne de Penthièvre; mais son authenticité ne saurait être révoquée en doute. Elle est d'ailleurs d'autant plus digne de notre admiration, que, si celui que la faisait avait pu céder au sentiment de la crainte la plus légitime, il eût dû saisir avec empressement l'occasion qui s'offrait à lui d'échapper au plus grand des dangers. Divers présages, en effet, sur lesquels nous n'avons point ici à formuler un jugement [Note : L’aventure du lévrier, rapportée par Lebaud, et la prédiction d'un médecin qui avait toute la confiance de notre Prince ; c'était Michel de S.-Mesmin. V. Simon de Phares (1480). Recueil des Astrologues célèbres (Bibl. nation. Mss français, n° 1357, fol. 142)], venaient joindre leur appoint à l'ensemble des circonstances oû l'on se trouvait, et n'étaient pas de nature à rassurer l'époux de Jeanne de Penthièvre sur l'issue probable de la bataille qu'on allait engager ; mais la considération des intérêts du peuple breton l'emporta sur toute autre dans l'esprit de ce prince, et l'amena à faire la réponse généreuse que nous venons de rapporter d'après un témoin oculaire, Geoffroy Budes d'Ussel. Après de telles paroles, il n'y avait plus moyen de compter encore sur l'espoir d'un accommodement pacifique. Les troupes reçurent donc, de part et d'autre, l'ordre d'avancer, et la mêlée commença. Elle fut terrible et sanglante : le champ de bataille, longtemps disputé pied à pied, vit s'accomplir des prodiges de valeur dignes des preux de Charlemagne. Au premier rang de ceux qui se distinguèrent par leur bravoure, il faut nommer du Guesclin, Knolles, Beaumanoir, Even Charruel, Clisson, etc., etc. [Note : Cuvelier. V. 6065, 6230. Guillaume de St-André n'a d'éloge que pour les Anglais. Pour le chantre de Duguesclin, il loue également amis et ennemis]. Le dernier nommé, armé d'un lourd maillet de fer, assommait tous ceux qui lui tombaient sous la main. Il trouva néanmoins contre qui lutter [Note : Ibid. V. 6120-6145], et perdit un œil dans la chaleur du combat. Mais, entre tous ces héroïques athlètes, nul peut-être n'égala Charles de Blois en courage, en intrépidité (Cuvelier. V. 6065 et suiv.). Généreux dans le combat comme avant la lutte, il n'avait qu'un désir : celui de se rencontrer face à face avec le comte de Montfort, afin de se mesurer corps à corps avec son compétiteur, et de terminer de la sorte sans plus grande effusion de sang la bataille, ou plutôt la guerre elle-même (Act. Can., t. I, fol. 115). Un moment il crut que ses vœux étaient comblés ; il aperçut de loin un jeune et brillant chevalier, paré des armes de Bretagne. Fondre aussitôt avec impétuosité sur celui qu'il prend pour son rival, l'attaquer avec vigueur, le percer de sa lance, l'étendre mort à ses pieds fut l'affaire de quelques instants. Après quoi ce cri de triomphe s'échappa instantanément des lèvres du Prince : « Bretagne ! Bretagne ! sois dans la joie, Montfort n'est plus » (Cuvelier. V. 6065-6100). Hélas ! Ce triomphe n'était qu'un leurre, le chevalier vaincu et terrassé n'était qu'un faux comte de Montfort. Voici ce qui était arrivé : Le rival de Charles de Blois, fort peu désireux pour sa part d'engager contre celui-ci un combat singulier, qu'il avait déjà refusé en plus d'une autre circonstance (Act. Can., t. I, fol. 175), n'avait pas craint, pour l'éviter encore une fois et mettre ainsi ses jours en sûreté, de recourir à un déguisement et de revêtir un simple chevalier de sa propre armure. Il n'eut donc qu'à se montrer à découvert au moment où la nouvelle de sa prétendue mort allait porter le désordre dans les rangs de son armée pour ranimer le courage des siens et les enflammer d'une nouvelle ardeur (Cuvelier. V. 6100 et suiv.). Par malheur en outre, pendant que ceci se passait au centre du champ de bataille, le second corps de l'armée franco-bretonne voyait, après quelques heures de combat, hors d'état de soutenir plus longtemps la lutte contre Robert Knolles. Ses deux chefs, les comtes de Joigny et d'Auxerre, étaient obligés de se constituer prisonniers avec plusieurs de leurs compagnons d'armes. Un plus grand nombre d'entre eux prenaient la fuite dans toutes les directions (Id. V. 6015 et suiv. Frossart. Guill. de St-André). Cependant les deux autres corps, appuyés probablement par la réserve, ne se laissaient point encore ébranler semblablement par ce commencement de déroute, et continuaient à tenir bon. L'issue finale de la lutte demeurait donc encore incertaine, lorsqu'une attaque hardie et imprévue de Hues de Calviley fit changer entièrement la face des choses [Note : Tous les chroniqueurs sont d'accord pour attribuer à l'intervention de Hues de Calviley la défaite du 29 septembre. Le comment n'est pas expliqué par tous avec la même unanimité]. Ce capitaine s'était embusqué, sur l'ordre de Chandos, avec ses bataillons, dans les bois de Kerlain. Il en sortit soudain au moment où les sires de Rieux, de Tournemine et de Rays, dont la mission était primitivement de lui tenir tête, se trouvaient impuissants à remplir ce rôle, sans doute parce que les troupes qu'ils commandaient avaient déjà reçu, en partie une autre destination. Aussi les efforts que tentèrent ces nobles chevaliers pour arrêter Hues de Calviley dans sa marche, demeurèrent-ils sans résultat (Cuvelier. V. 5955-5970, etc.). — Le premier tomba même frappé à mort par un trait ennemi, pendant que le second était fait prisonnier (Guill. de St-André. V. 1418). Le lieutenant de Chandos s'en vint après ce succès prendre en queue les deux seuls corps de l'armée de Charles de Blois qui se fussent maintenus dans leurs positions du matin. On comprend sans peine quel désordre dut jeter dans leurs rangs une manœuvre si inattendue et si hardie. Dès lors la lutte devint très inégale entre les combattants. Pour Charles de Blois, il n'en resta pas moins intrépidement au milieu des rangs ennemis, dans l'espoir de ranimer par son exemple le courage de ceux des siens qui avaient faibli et lâché pied. Par malheur, le nombre de ceux qui l'entouraient et lui prêtaient leur concours, diminuait de moment en moment. La mort atteignait les uns, et dans ce nombre, il faut nommer les sires de Rochefort-Assérac, de Kergorlay, d'Avaugour, du Pont, etc. (Id. V. 1410-1415). Les autres, en grand nombre et parmi eux les vicomtes de Rohan, et de Coëtmen, le sire de Beaumanoir, etc., en étaient réduits à leur tour à se constituer prisonniers de guerre (Id. V. 1415-1425). Vint l'instant où notre duc, se voyant seul au milieu d'un groupe d'ennemis, n'eut plus devant lui d'autre alternative que celle d'affronter inutilement la mort, ou celle de remettre à quelque seigneur sa vaillante épée. Il se résigna à ce dernier parti et fut reçu à merci par un chevalier dont nous ignorons à la fois et le nom et la nationalité (Act. Can., t, I, fol. 54). Le fait est toujours incontestable: nous en avons pour garant un témoin oculaire : Georges de Lesven, et les traditions constantes de la maison de Penthièvre (Preuves de Bretagne, t. III, c. 344). Mais, ô perfidie exécrable ! à peine Charles de Blois s'était-il de la sorte mis, sur promesse, à la merci de ceux qui avaient juré sa perte, qu'un soldat déloyal [Note : Les traditions de la famille de Penthièvre font retomber ce crime sur Pierre de Lesnérac, Guérandais d'origine. — V. Preuv. de Bret., t. 3, c. 344] profita du moment où il venait de lever son casque pour le frapper traitreusement à la tête [Note : Georgius de Lesven (Nantes) medicus familiaris Caroli Blesensis praesens erat in conflictu de Aurayo… quando Carolus captus fuit ab inimicis et se reddidit prisionarium et postea occisus est....... — Act. Can., t. I, fol. 56. — In aure infixum fuit vulnus, a quo mortem accepit. — Ibid., t. II, fol. 121]. Le coup, porté par une main vigoureuse, atteignit un organe nécessaire à la vie, et Charles de Blois tomba pour ne plus se relever. On entendit bientôt de sourds râlements s'échapper de sa poitrine oppressée. C'étaient des signes trop certains, de la mort qui n'était plus éloignée. Le P. Rabin, religieux de l'ordre de St-Dominique, se trouvait sur les lieux avec plusieurs autres ministres de l'Eglise, afin d'être plus à portée de rendre aux blessés et aux mourants les secours de la religion. Il s'approçha avec respect de son Prince, qu'il connaissait particulièrement, et n'eut que le temps de lui adresser ces courtes et simples paroles : « Monseigneur, pensez à Dieu, recommandez-vous à saint Jean-Baptiste, en qui vous avez toujours eu une si grande confiance ». On entendit alors le duc Charles s'écrier d'une voix entrecoupée : « Ha ! ha ! ha ! Seigneur mon Dieu ». Puis il expira au moment même (Act. Can., t. I, fol. 193). Le saint nom de Dieu fut ainsi le dernier mot que ses lèvres défaillantes prononcèrent, le dernier souvenir qui se présenta à son cœur si embrasé des saintes ardeurs de l'amour divin. Les Anglais se jetèrent alors sur son corps comme des vautours sur une proie et se mirent à le dépouiller sans pitié de ses armes et de tous ses vêtements. Mais la vue du cilice de notre pieux Prince les fit reculer d'effroi et leur inspira de l'horreur pour leur conduite coupable. A partir de ce moment, ils n'osèrent plus continuer à couvrir ainsi d'outrages les restes mortels d'un saint, d'un ami de Dieu (Act. Can., t. I, fol. 193). Cependant, la nouvelle de la mort douloureuse de notre duc de Bretagne ne tarda pas à se répandre dans l'un et l'autre camp. Elle mit le comble à la joie du comte de Montfort et de ceux qui combattaient pour lui. Elle acheva de plonger dans une tristesse voisine du désespoir les défenseurs du Prince, que venait de rendre le dernier soupir dans des circonstances si cruelles. On luttait encore sur quelques points et l'intrépide généralissime Du Guesclin essaya en particulier, pour son propre compte, de ranimer le combat, moins dans l'espérance de faire changer la face des choses, que dans le désir de ne pas survivre au plus brave des chevaliers (Cuvelier. V. 6265 et suiv.). Mais la Providence, qui réservait à d'autres destinées le futur connétable de Charles V, épargna ses jours précieux, et ne permit pas que la mort qu'il cherchait l'atteignit sur le champ de carnage. Le noble guerrier eut donc beau se jeter au milieu des rangs ennemis, frapper à droite et à gauche, et faire mordre la poussière à plus d'un Anglais, il ne reçut lui-même aucune blessure mortelle, et les choses tournèrent de telle façon qu'il dut, bon gré, mal gré, se constituer le prisonnier de Jean Chandos, celui à que le comte de Montfort était principalement redevable de sa victoire (V. divers titres originaux donnés par Charrière, t. II, p. 393 et suiv. - Cuvelier. V. 6279). Cette capture fut le dernier incident de cette triste journée. Tous les chefs de l'armée franco-bretonne étant tués ou prisonniers, ce qui restait se hâta de se disperser dans toutes les directions, abandonnant les morts et les blessés à la merci du vainqueur. La victoire du comte de Montfort était donc aussi complète que décisive. Elle débarrassait le rival de Charles de Blois de son compétiteur, elle le rendait maître du champ de bataille et ne laissait, pour ainsi dire, à la Bretagne, d'autre ressource que celle de se soumettre, sans retard et sans condition, à celui que venait de remporter sur elle-même un si éclatant triomphe. Telle fut cette journée d'Auray, si mémorable dans les annales militaires, à cause des grands noms qui y figurèrent, à cause du courage et de l'habileté de ceux qui s'y disputèrent la palme du vainqueur à cause des prodiges de valeur dont elle devint l'occasion. L'histoire avait eu le tort jusqu'ici de la raconter avec beaucoup trop de partialité pour le vainqueur. On vient de voir que, si la fortune y trahit Charles de Blois, si elle fit passer en ce jour la couronne ducale de Bretagne sur le front du comte de Montfort, ce ne fut pas, toutefois, sans entourer d'un nouvel éclat la réputation de courage et d'intrépidité dont jouissait précédemment l'époux de Jeanne de Penthièvre. Il ne suffirait même pas de dire qu'il y mourut de la mort des braves, et comme savent mourir les héros chrétiens. Il faut ajouter, nous l'avons indiqué, qu'il succomba véritablement victime de son zèle à procurer le bien de son peuple et l'honneur de la Bretagne. (D. François PLAINE, religieux Bénédictin de l'abbaye de Ligugé)