Symboles utilisés
o : naissance,
x : mariage (x : 1er mariage, xx : 2ème mariage... , + : décès, ca : environ, ? : date évaluée
exemple : (oca1584) signifie "
naissance en 1584 environ"

René Joseph
TOURNEMINE (de)
26 04 1661
1661
RENNES (35)
TOURNEMINE (de) :: Jean Joseph
COETLOGON (de) :: Anne Marie
 - sans postérité
Culte
 - Prêtre Jésuite 1735

Cette ascendance illustre explique peut-être un trait de caractère qu’on lui reprochera parfois au cours de son existence : assez hautain et souvent cassant. Un confrère, le père Claude Buffier, fit courir pour cela une épigramme assez vive en forme de distique latin qu’on se répéta partout mais qui ne lui fit perdre ni son assurance ni sa morgue, pas plus d’ailleurs que ne le troubla le mépris dans lequel le tint publiquement Montesquieu. Celui-ci, qui avait connu Tournemine à l’Hôtel de Soubise où se réunissait une petite société de beaux-esprits, lui en voudra en effet toute sa vie d’avoir intrigué auprès du ministre Fleury pour lui interdire l’entrée à l’Académie, parce qu’il n’appréciait pas les Lettres Persanes, mais aussi en raison des critiques portées par la suite contre ses autres ouvrages dans les Mémoires de Trévoux. Il notera dans ses Pensées : « Il n’avait aucune bonne qualité, il était même mauvais Jésuite. » Après d’excellentes études, il entre dans la Compagnie de Jésus en 1680 (noviciat), époque où il écrit sa première œuvre littéraire, un poème en 6 chants Daphnis et Chloé, poème qu’il aurait écrit en breton. La « traduction » paraît chez Barbe, à Rennes en 1679. Elle sera souvent réimprimée en raison de l’original présumé « en langue celtique », mais il est peu probable que celui-ci ait vraiment existé ! Tournemine aurait ainsi voulu prouver à la marquise de Sévigné que la langue des Bretons pouvait se prêter à la grande poésie épique en présentant une version totalement différente du modèle latin, des pastorales de Longus ! Il enseigne d’abord à Rouen (théologie, humanités, philosophie – écrit au moins deux pièces pour le théâtre de ses élèves : Alceste et Midas) puis est chargé de la direction du Journal de Trévoux en 1701 et de la bibliothèque de la maison professe des Jésuites à Paris, Louis-le-Grand. En ses qualités de scriptor, il a alors de longues conversations philosophiques et littéraires avec certains des élèves comme le jeune Arouet et avec des personnalités comme Fontenelle ou Louis Racine. Voltaire gardera toujours de l’affection pour ses professeurs : J’ai été élevé pendant sept ans chez des hommes qui se donnent des peines gratuites et infatigables à former l’esprit et les mœurs de la jeunesse. Depuis quand veut-on que l’on soit sans reconnaissance pour ses maîtres ? Et il restera en relations avec les pères Porée et Tournemine auxquels il envoie ses livres et attend leur jugement. Ainsi la très célèbre lettre à propos de sa tragédie Mérope adressée à ce dernier : Mon très cher et Très Révérend Père est-il vrai que ma « Mérope » vous ait plu ? Y avez-vous reconnu quelques-uns des sentiments généreux que vous m’avez appris dans mon enfance ? Dans une longue et élogieuse lettre au père Porée, il avait en effet exprimé tout son plaisir à la lecture de cette œuvre « qui passera à la postérité comme une de nos tragédies les plus parfaites, comme un modèle de tragédie » et s’était réjoui du génie de son ancien élève en assurant que « l’amitié paternelle qui m’attache à lui depuis son enfance, ne m’a point aveuglé ». Déjà, quelques années auparavant, quand il avait eu une amusante aventure en Hollande avec une demoiselle Du Noyer, « Pimpette », c’est au Père Tournemine qu’il confiera ses émois à son retour à Paris, dans l’espoir que le bon père l’aide à conquérir la belle huguenote ! René Pomeau (Voltaire en son temps) a démontré l’influence de Tournemine sur la pensée de Voltaire : son rationalisme, ses arguments en faveur de la religion naturelle et du consentement universel, ses réflexions sur les Chinois, l’horloge et l’horloger, la matière pensante…, tout cela se retrouvera chez l’auteur des Lettres Philosophiques et il est inutile d’y revenir. Tournemine, comme Bougeant par exemple, est certes jésuite, mais il est aussi philosophe à sa façon et érudit : théologie, belles-lettres, antiquité sacrée et profane, critique, éloquence, poésie, sciences, tout l’intéresse. Il a écrit un nombre assez incroyable de dissertations que l’on trouve dans les Mémoires de Trévoux et qui ont souvent eu un écho flatteur : histoire, critique historique, numismatique, théologie, philosophie, géographie sacrée, géométrie. Il s’est penché sur la philosophie chinoise et les religions de l’Inde… Il a aussi été éditeur (de Menochius, de l’Histoire des Juifs, de Prideaux, de la Démonstration de l’existence de Dieu, de Fénelon…) et bien entendu auteur d’ouvrages aussi divers que l’Histoire littéraire de la Société de Jésus (ce qu’il fit assez mollement et incomplètement, préférant le salon à l’austère cabinet), les Tables chronologiques de la Bible, laDéfense du grand Corneille et quantité de projets de livres (Sur l’origine des fables, Sur l’origine des Noirs…). Il a écrit de nombreuses « réflexions » (sur des ouvrages de ses compatriotes Pezron et Hardouin, sur Bougeant, sur l’athéisme…), des « réfutations » (de Spinoza, par exemple), des « éclaircissements », des commentaires… Il avait un réseau de correspondants dans toute l’Europe (il controversa avec Leibniz par exemple sur la question de l’unité substantielle de l’homme, sur l’origine des Français et la langue celte, avec Malebranche, avec le père Berruyer, un disciple du père quimpérois Hardouin et auteur de la célèbre Histoire du peuple de Dieu) et se passionnait pour les sciences. Pédagogue dans l’âme, il aimait aussi encourager les jeunes gens chez qui, comme chez le jeune Arouet, il sentait des dispositions exceptionnelles. Sa chambre était un salon assez exceptionnel où il recevait Voltaire, Piron, Bouchardon, Le Franc, Crébillon… Au nombre de ses amis, il comptait Jean-Baptiste Rousseau et l’abbé Desfontaines le critique à la réputation sulfureuse et bien d’autres esprits du premier rang. On ne peut aujourd’hui imaginer quel était son rayonnement en France et en Europe : il n’est pas de journal, de dictionnaire du temps qui ne mentionne son nom, telle ou telle de ses pensées. Il était resté très attaché à sa Bretagne et lors des affaires qui déchirèrent la province sous la Régence, le Régent (Philippe d’Orléans, régent pour le très jeune Louis XV) le fit venir et lui demanda si lui, un Tournemine, avait des relations écrites avec sa patrie. Il répondit sans hésiter que non et le régent lui présenta alors une lettre qu’il avait fait partir pour la Bretagne en lui demandant s’il y avait évoqué les affaires d’état qui défrayaient la chronique. Il répondit à nouveau négativement, un bel exemple de nicodémisme ou de jésuitisme ! Le Régent sut ce qu’il devait en penser mais ne voulut pas intervenir et fit partir la lettre. Un Tournemine ne pouvait évidemment fermer les yeux sur la grande politique et il se servit de sa position pour intriguer contre le Régent comme le révèlent les Mémoires du duc de Richelieu et celles de Saint-Simon. Il partagea, diffusa même les idées du cardinal de Polignac et participa au moins indirectement à la fameuse conspiration de Cellamare en 1718 ! Les querelles du jansénisme l’ont bien entendu interpellé et ceci explique que ce jésuite important se soit opposé assez ouvertement à Philippe d’Orléans. Monsieur de Tournemine, qui s’enquiert des affaires de Bretagne, qui est en relation avec la cour de Sceaux, qui ne cache pas son opposition au Régent parce qu’il avait retiré à la Compagnie la direction de la conscience du roi et éloignait ses membres de la cour, parce qu’il avait fait évincer le duc du Maine (vivant dans sa résidence du château de Sceaux) de la régence et parce qu’il soutenait les jansénistes, Monsieur de Tournemine aimait les conspirations, les affaires traitées dans le secret. Il était ainsi parfaitement « jésuite », sachant à la fois dire oui et non moins dans une perspective dialectique qu’en traitant le plus souvent par l’ironie (en latin simulatio) les problèmes qu’on lui soumettait, l’ironie impliquant justement un dédoublement de la personnalité ou des points de vue. Souvent d’ailleurs, quand il publie un livre (celui de Fénelon par exemple), il le fait précéder d’une préface dans laquelle il marque ses différences. Ainsi Tournemine n’a jamais été professeur de Voltaire, pourtant celui-ci en fait, plus que du père Porée, le représentant de ses maîtres. On peut s’interroger sur cette relation mise en exergue des deux côtés par ces deux maîtres de l’ironie, car en fait les rencontres entre les deux hommes n’ont pu être que rares et les lettres échangées ne sont pas nombreuses et sont le plus souvent à fleurets mouchetés comme en 1735 où ils se livrent à une courtoise dispute à propos d’une thèse que Voltaire croit avoir lue dans Locke et affirmant que Dieu, dans sa toute puissance, aurait pu vouloir à la fois l’attraction newtonienne et la matérialité de l’esprit. En fait, il faut dans doute voir dans cette insistance de Voltaire et dans la réceptivité de Tournemine, comme le pense Ribard Dinah, (« Pratique(s) jésuite(s) de l’écrit : le P. Tournemine, les Mémoires de Trévoux et Fénelon. », Dix-septième siècle 3/2005, p. 513-526), d’une part l’expression de la stratégie du philosophe face aux jésuites, et d’autre part la volonté de ces derniers de contribuer « à la circulation sociale des savoirs ». En réponse, Tournemine fera paraître dans son journal, en octobre 1735, une « Lettre du P. Tournemine de la Compagnie de Jésus, à M. de *** sur l’immatérialité de l’âme et les sources de l’incrédulité» adressée bien évidemment à Voltaire où il apparaît à la fois aussi libre, aussi ouvert qu’un philosophe et tout autant respectueux des dogmes de l’Église. On peut bien entendu parler d’hypocrisie, mais on peut tout autant arguer d’ouverture d’esprit ! Sur un autre plan, son compatriote, le père Hardouin, de Quimper, voulait absolument lui faire partager ses vues parfois géniales mais souvent abracadabrantes. Pour ne donner qu’un exemple, ce dernier partait d’un point de vue assez cartésien, celui de la Tabula Rasa : rien de ce que nous apprend l’histoire n’est vraie. Ainsi, la plupart des ouvrages prétendus de l’Antiquité auraient été composés par des moines au XIIIe siècle. L’Énéidene serait pas de Virgile mais d’un bénédictin chantant allégoriquement le voyage de St Pierre à Rome ! Tournemine ne partageait en rien les rêveries d’Hardouin et se défendait de lui avec une certaine pugnacité qui finit par lasser le premier au point qu’agacé par les fins de non-recevoir de son compatriote, il lui fit sèchement savoir qu’ « il ne se levait pas tous les jours à trois heures du matin pour dire ce que les autres ont dit » ! Le père Tournemine est mort à Paris en 1739, 24 ans avant que la célèbre Compagnie ne soit bannie de France. Le Parlement de Paris, prit prétexte d’une faillite dans laquelle les jésuites étaient impliqués pour les condamner avec en toile de fond une alliance gallicano-janséniste