Seigneurie ou maison noble
Saint-Jean (Pont)
LA GACILLY
56200
Morbihan
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Bien avant 1317, il y eut un premier pont en bois, sans doute romain, pour réunir les deux rives de l’Aff. Au début du siècle dernier, de vieux poteaux en bois, (l’abbé Chérel parle même de pointes de pieux de chêne.) genre pilotis, apparurent suite aux affouillements profonds produits dans le vieux lit de la rivière par la chute d’eau provoquée par la construction de la digue. Même des poutrelles avaient été mises à jour. Or ces pilotis ne coïncidaient pas avec les arches des ponts construits depuis, ce qui montre bien l’existence d’un pont plus ancien. A ce sujet, l’abbé Chérel écrit : « Le gué naturel de peu de profondeur se prêtait admirablement à l’établissement d’un pont. Ce qui semble confirmer cette hypothèse, c’est l’existence d’un chemin pavé dans le genre des voies romaines se dirigeant vers ce point et dont on retrouve des parties encore bien conservées au Grand Héréal en Cournon et au-dessus de la Bergerie en La Gacilly. »

L’existence d’une route très ancienne venant de Renac et se dirigeant vers Ploërmel/Malestroit tend à prouver l’existence à La Gacilly d’un passage important qui nécessitait la présence d’un gué praticable, voire d’un pont. De plus, il était tout naturel, d’avoir choisi, pour ce passage, le point où la rivière réussissait avec peine à se creuser un lit étroit et peu profond dans les masses de schistes durs appuyés sur une couche épaisse et compacte de grès qui lui barraient la route à la sortie du vaste étang, devenu avec le temps marécage, qu’elle formait entre la Chapelle-Gaceline, Sixt-sur-Aff et La Gacilly. C’était à peu prés le seul endroit guéable du cours de la rivière entre Comblessac et Glénac. Pourquoi ce pont n’existait-il plus vers 1310-1317 ? Il semblerait qu’il fut détruit vers 1300 mais pour quelles raisons ? D’autant plus que le moulin seigneurial existait déjà, juste au Bout-du-Pont, côté Est. Plusieurs réponses sont plausibles. D’abord l’usure normale au fil des ans, d’autant plus que le courant très irrégulier de l’Aff qui, drainant une grande partie des eaux de la forêt de Paimpont, se transforme souvent en torrent. Une élévation et une force anormales des eaux ont-elles eu raison du tablier de ce pont de bois ? Autre réponse possible : la destruction décidée et entreprise par les Gaciliens eux-mêmes pour se mettre à l’abri des incursions des Normands qui- au IX° siècle- ravagèrent, ruinèrent et brûlèrent tout le pays au-delà de l’Aff et de l’Oust, à moins que cette décision ne fut prise qu’au X° ou XI° siècle suite aux attaques des Francs contre les Bretons. Cette destruction fut peut-être également initiée par le seigneur de Montfort (Raoul ou Olivier) lorsqu’au XII° siècle il fut décidé de construire la forteresse féodale sur la pointe rocheuse qui domine la rivière afin de prévenir les surprises et les attaques de voisins gênants du côté de l’Est.

Lorsque le pont fut détruit, le passage de la rivière devint très délicat car le chemin descendant la pente abrupte de la Grée Saint-Jean était encaissé, beaucoup plus bas que le pont, de la largeur d’une voie de charrette seulement et continuellement baigné par les eaux du cas Saint-Jean qui y coulaient en telle abondance que les piétons étaient obligés en hiver de suivre un petit sentier sur le bord de la lande. Ce chemin venait aboutir directement à la rivière, peu profonde il est vrai à cet endroit, mais dont le fond formé de vastes dalles schisteuses glissantes et inégales rendait le passage à gué difficile et dangereux. La sortie, sur la rive droite, était aussi pénible que le passage lui-même car il fallait, sur les mêmes pierres glissantes grimper la pente raide qui – par la rue La Fayette actuelle – se dirigeait vers l’entrée du château ou bien le sentier encore plus à pic qui, escaladant les pentes de la colline de Graslia, se raccordait au chemin vers Bel-Orient et Glénac. De plus, comme il l’a été écrit ci-dessus, le courant de la rivière était à certains moments très fort. Tout cela contribuait à rendre difficile la communication entre les deux rives. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les voyageurs, empruntant ce passage délicat, pouvaient hésiter à le franchir et qu’il devait y avoir assez souvent perte d’hommes et de biens. Si le franchissement de la rivière s’effectuait au moyen d’un gué, il semble bien qu’un bac fut mis à la disposition des voyageurs pour traverser l’Aff à cet endroit surtout lorsque la montée des eaux rendait impossible la traversée du gué. Dans son livre sur La Gacilly, Ducrest de Villeneuve dit, au sujet de Paul Lasalle, son personnage principal, qu’il était l’un des descendants du propriétaire du bac. Ce dernier avait obtenu la permission du seigneur d’installer ce bac et le droit de passer les clients éventuels contre la perception d’une taxe (un denier par personne transportée) au profit de l’Hôpital Saint-Jean. Lorsque le pont fut construit, le bac n’eut plus sa raison d’être ; aussi l’Hôpital Saint-Jean logea et nourrit le passeur ainsi que sa famille. Il en résulta cependant un manque à gagner pour l’Hôpital et l’aumônier de l’époque réclama au seigneur une compensation.

Pour toutes ces raisons, le seigneur de La Gacilly, Olivier III de Montauban, se devait d’offrir à ses vassaux les commodités d’un pont solide et franchissable même en saison de fortes eaux. Olivier de Montauban choisit de le construire au seul endroit guéable du cours de la rivière et aussi et peut-être avait-il eu connaissance de la présence de l’ancien pont à cet endroit. La date de construction de ce pont n’a pas été déterminée avec précision, certains avancent la date de 1318 pour le commencement des travaux et 1320 pour l’achèvement du pont, dates plausibles puisque la bulle papale d’autorisation de construction de l’édifice date de 1317 et Olivier III décèdera en 1336, il est logique de penser que la construction ait eu lieu entre ces deux dates, d’autant plus qu’en 1345, d’après un vieux titre latin et après procès, une indemnité de 325 livres fut accordée à l’aumônerie par le seigneur de Montauban pour la suppression du bac du gué Saint-Jean que « rendait inutile la construction du pont ». Celui-ci franchissait l’Aff par cinq arches de pierre solidement établies sur le fond rocheux de la rivière. Il coupait obliquement le lit du cours d’eau, se dirigeant de la pointe Sud de la cour du moulin (Végétarium actuel) vers l’extrémité Nord du terre-plein de l’ancienne gendarmerie (Office de Tourisme actuel ), réunissant directement l’hôpital Saint-Jean à la rue La Fayette qui était alors l’unique entrée de La Gacilly du côté de la rivière

Les arches étaient un peu inégales en hauteur et vraisemblablement en largeur. Il devait y avoir une arche principale plus haute et plus large que les deux arches secondaires qui l’encadraient. Le tablier, encadré de parapets en maçonnerie, s’élevait en pente douce d’Est en Ouest. Les piles étaient appuyées en amont et en aval par des contreforts triangulaires dont le sommet en glacis incliné atteignait la base des parapets. Ce tablier était plus bas que celui du pont actuel, presque un mètre en dessous du côté du moulin. C’est ce qui explique qu’au moment des crues, l’eau arrivait à couvrir le tablier du pont de ce côté et même quelquefois toute la chaussée à une hauteur assez importante pour rendre le passage impossible ou tout au moins très dangereux. Ce qui explique les accidents survenus au cours des années postérieures. Ainsi, le 4 janvier 1662, « Olivier Harel, habitué dans cette ville depuis trois ou quatre ans, étant de la ville de Dinan, passant par sur les ponts de La Gacilly, les eaux étant fort hautes, fut submergé et tomba dessous l’arche proche le moulin. Il fut inhumé le lendemain sous le chapiteau. » En 1679, maître Julien Le Roy, chirurgien de la ville de La Gacilly, se noya par accident en la rivière de La Gacilly, proche le héri (sol de terre battue devant le moulin). En 1845, un saunier de Guérande et son « mule » furent emportés par le courant et repêchés à grande peine, l’homme au chantier Desbois et la monture à la prairie de Bel-Orient (station d’épuration actuelle )

Vers 1710, l’arche principale du milieu fut emportée au moment d’une grande crue. Yves Marie de la Bourdonnaye, vicomte de Couëtion et conseiller d’Etat, qui venait d’acheter la terre de La Gacilly aux enfants de Georges Robert de la Haye d’Andouillé et de sa femme Anne Madeleine du Houx, la fit reconstruire, en 1719, à ses frais avec arêtes en pierres de taille ce qui la distinguait des autres. Le marquis, en même temps, fit faire des travaux sur la route de Carentoir par la Bouère, pour l’améliorer ; le passage devant l’étang et le moulin prit le nom de la Chaussée.

 Pendant la Révolution (peut-être l’Empire), une arche du côté du moulin fut à son tour emportée par les eaux. Cette fois, on se contenta d’établir un tablier de bois sur le trou béant. Ce fut du provisoire qui dura jusqu’en 1868, année où l’administration des Ponts et Chaussées démolit le vieux souvenir du XIV° siècle pour construire le nouveau pont que nous connaissons. En 1869, J. Desmars, en parlant du vieux pont, écrit : « gothique casse-cou qui faisait pâmer d’aise les antiquaires et trembler de peur les charretiers »