1861-01-01
1861-0-0-Médecine et la Chirugie dans le Morbihan

Rien n'est triste comme l'histoire de ce procès qui s'est dénoué en police correctionnelle de Vannes, le 10 mars 1858. Le sieur H.... , à la Gacilly, depuis longues années, était un guérisseur de première force. Ses onguents étaient renommés pour les tumeurs et les plaies réputées incurables. Un pauvre diable de fermier, atteint d'une fluxion à la joue, eut le malheur de s'adresser à lui. Donnons la parole à la victime :<< Dans le mois d'Avril, dit le paysan, j'ai été atteint d'un certain gonflement de la joue. Il occupait les chairs seulement sans s'étendre aux os». Dans le mois de Septembre dernier, ayant entendu parler du sieur II...., de la Gacilly, comme d'un homme expert en opérations chirurgicales, j'allai le consulter. Celui-ci me proposa de couper les chairs gonflées, m'assurant qu'il me guérirait ; mais il fallait, me dit-il, cuire auparavant les chairs. Il me remit, à cet effet, un certain onguent pour être appliqué sur la tumeur, en m'enjoignant de retourner au bout de trois semaines. Pendant ce temps, les applications faites sur ma joue me faisaient tellement souffrir, que j'en poussais sans cesse des cris déchirants, nuit et jour, au point que les gens du village se plaignaient de ne pouvoir plus dormir. Au bout de trois semaines, nouvelle visite. H.... m'emporta les chairs gonflées avec son couteau, et fit une large plaie. Trois semaines après, la guérison n'arrivant pas, une seconde opération fut jugée nécessaire ; mais il ajouta qu'il fallait encore auparavant cuir les chairs pendant trois semaines Je ne saurais exprimer quelles douleurs j'ai ressenties. Au bout de trois semaines, H.... n'ayant plus de chairs qu'il pût saisir facilement, y enfonça une fourchette, pour les soulever et il emporta le morceau avec son couteau. Le malheureux ne guérissait pas, sa face n'était qu'une plaie hideuse, comprenant focal, la joue, et toutes les parties sous-jacentes, y compris les os de la face. Une suppuration affreuse était entretenue par la désorganisation des tissus. Le malade désespéré s'adressa aux médecins ; il était trop tard. Le sieur Fi...., dénoncé par la rumeur publique et par le médecin, comparut devant le tribunal correctionnel. « N'étant pas médecin, pourquoi vous permettez-vous d'exercer cette profession qui exige des études spéciales? »A celte question, le guérisseur répond au président : « Monsieur, en 1817, pendant que je faisais mes études au collège de Vannes, ayant été atteint d'un épanchement de bile, je fus traité par un médecin de Tours en Touraine, dont je ne me rappelle pas le nom, qui ne résidait que depuis peu de temps, et pour affaire dans ladite ville de Vannes. Ce médecin qui m'avait guéri, et qui paraissait s'intéresser à moi, me proposa de me donner diverses recettes pour guérir certaines plaies, panaris, gale, dartres, taies aux yeux ; en me disant que je pourrais ainsi me tendre utile à l'humanité. J'avais alors 25 à 26 ans, et j'étais en rhétorique ; j'acceptai. » Interpellé sur la composition de l'onguent qu'il a délivré à son client, le guérisseur, après beaucoup d'hésitations répond qu'il y entre du cinabre, de la poudre de sang-dragon, et des vieilles semelles de souliers pulvérisées, le tout délayé dans un peu d'eau. Tel était ce fameux secret transmis au rhétoricien de 26 ans, par le mystérieux chirurgien de Tours. En ajoutant à ces ingrédients un peu d'arsenic blanc, on a exactement la formule de la poudre du frère Côme, préparation caustique, très énergique, connue de tous les chirurgiens, et encore employée de nos jours. Le charlatan fut condamné à 15 jours de prison et à 40 francs d'amende. Mais le plus malheureux fut le paysan, qui mourut quelque temps après, au milieu des plus horribles souffrances.

Gustave de Closmadeuc (1828-1918)