Seigneurie ou maison noble
Roche-Jagu (La)
PLOËZAL
22260
Côtes-d'Armor
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Flanqué de deux tours, l'une en façade et l'autre accrochée à l'angle du pignon surplombant l'estuaire, il fait face au visiteur venant par les terres. Pour y parvenir, le randonneur aura suivi le sentier qui le remonte sur la rive droite, passant par le Rocher Argenté d'où il aura découvert une large portion de la vallée. Il aborde cette vaste demeure en débouchant sur un escalier métallique placé là tant l'érosion et le passage humain en avaient usé l'assise. C'est au pied d'un contrefort massif paraissant inachevé, percé d'une étroite fenêtre, accolé à une tour à mâchicoulis ornant l'angle nord-est du château, que vous déboucherez sur l'esplanade herbeuse ouverte sur une entrée monumentale. contrefort du château de La Roche-Jagu en Ploëzal De part et d'autre, de larges sentiers bordés d'une végétation toute en couleurs à la belle saison mènent de la porte des remparts au porche d'entrée d'un édifice défendu par une lourde grille de fer. Cette entrée d'inspiration gothique tranche sur une architecture d'ensemble où dominent les angles droits formés non seulement par les murs mais aussi par les fenêtres donnant sur la cour d'entrée. Avant d'arriver là, vous aurez peut-être découvert un petit masque naïf sculpté dans un bloc de granit gris enchâssé dans l'angle formé par le pignon est et le contrefort de la tour qui s'y accroche. L'arrière du château se caractérise par de hauts murs partiellement brisés en leur sommet par un encorbellement au niveau d'un chemin de ronde couvert, permettant de guetter aisément la vallée du Trieux et d'éventuels assaillants. Dans le prolongement de celui-ci, une partie de la façade arrière, prolongée elle aussi d'un arrondi de tourelle à mâchicoulis, est constituée d'un mur à pan de bois tranchant sur la froideur du granit dont il forme le rehaussement. La tour de la façade avant possède les mêmes caractéristiques, s'imbriquant presque totalement dans les hauts murs et une toiture coiffée de dix-neuf cheminées octogonales de style gothique flamboyant, ornées de multiples couronnes scultptées. cheminées du château de La Roche-Jagu en Ploëzal L'architecture austère du château de La Roche-Jagu, quelque peu tempérée par ces particularités, trouve son origine au début du 15ème siècle. Il avait deux vocations : il était tout à la fois une résidence de prestige et un ouvrage défensif. Il ne fut toutefois pas le premier à s'asseoir sur les rochers dominant une courbe du Trieux. Cette spécificité fera de l'endroit, depuis bien longtemps déjà, un site idéal pour observer le trafic maritime entrant loin dans les terres mais aussi une place-forte plus facilement défendable. Il est fort probable que, déjà bien avant l'ère dite chrétienne, quelques lointains ancêtres s'installèrent ici. Le territoire de Ploëzel recèlant par ailleurs les vestiges d'un tumulus datant de l'âge du bronze au lieu-dit Tossen-Ribourden, leurs contemporains furent sans doute attirés par la situation avantageuse d'un tel poste d'observation. Aucune trace d'une telle occupation ne fut toutefois jamais découverte en ces lieux ... La première citadelle connue y fut érigée au 11ème siècle, par une famille dont le nom sera toujours attaché à ce domaine. Elle s'éteindra à la fin du 14ème siècle, transférant de fait la propriété au domaine ducal dépendant de Jean IV de Montfort. Le fort deviendra alors le siège d'une garnison puis sera entièrement détruit au début du 15ème siècle. château de La Roche-Jagu en Ploëzal Catherine de Troguindy deviendra propriétaire de ces terres et entreprendra la construction du château actuel, à partir de 1405. Cette nouvelle forteresse ayant l'heurt de déplaire à Marguerite de Clisson qui présidait alors aux destinées d'un autre château, celui de Châteaulin-sur-Trieux situé en amont sur les terres de Pontrieux, elle fera emprisonner les ouvriers du chantier en 1407 ! Il faudra l'intervention du duc de Bretagne pour mettre fin à ce conflit et autoriser enfin le parachèvement du château de La Roche-Jagu peu avant le décès de Catherine de Troguindy, en 1418. Achevé en 1420, le château et son domaine passeront ensuite successivement dans les mains de diverses familles (Du Parc, Kersaliou, Treal, Kerimel, Penhoët, Coëtmen, Acigné, Plessis-Richelieu et de Fronsac, de Tressan), jusqu'à la Révolution. Au 18ème siècle, le duc de Richelieu y fera creuser plusieurs souterrains mais les aura fait combler avant de céder la forteresse au conseiller Le Gonidec de Tressan. Jusqu'alors, les divers propriétaires des lieux avaient pouvoir de haute, moyenne et basse justice, régnant sur un vaste territoire où les fermages leur assuraient de bons revenus. Les derniers propriétaires privés seront issus de la famille d'Alès, à partir de 1899. Son ultime châtelain, le vicomte d'Alès, ne pouvant faire face aux restaurations qu'impliquaient, dès 1930, le classement du château à l'inventaire des monuments historiques, en fera don au département par un acte dressé le 9 avril 1958. Cette date marquera le début d'une rénovation complète du domaine et de sa pièce maîtresse ainsi que la mise en valeur des jardins, pièces d'eau et cultures en terrasses descendant jusqu'aux berges du Trieux. Aujourd'hui, l'ancienne conciergerie et les annexes ont été transformées en lieux de réception, restauration et rafraîchissement, percés dans le rempart ouest par un porche menant aux jardins. L'histoire du château Mille ans d'histoire à la Roche-Jagu 1075 - 1100. Le lieu est occupé par la famille du même nom. 1123. - Riou de la Roche-Jagu apparaît dans un document concernant la paroisse Saint-Sauveur à Guingamp. 1284. - Prigent de la Roche-Jagu est mentionné dans les comptes ducaux. 1341 - 1382. Catherine de Troguindy, héritière du château, avait épousé Henri Du Parc, frère d'un chambellan de Charles de Blois. Lors des guerres de succession (consécutives à la mort du duc Jean III), les seigneurs de la Roche-Jagu, après avoir pris parti pour les Penthièvre contre les Montfort, assistent au démantèlement de leur château. Peu avant 1390, mort d'Henri Du Parc. 1405. - Sa veuve, Catherine de Troguindy, obtient l'autorisation du duc Jean V de reconstruire le château. 1407. - Marguerite de Clisson (1366-1441), comtesse de Penthièvre et propriétaire de la forteresse voisine de Châteaulin-sur-Trieux, essaie d'interrompre le chantier de la Roche-Jagu en emprisonnant les ouvriers qui y travaillent. 1418. - Mort de Catherine de Troguindy. 1423. - Mort de son fils Henri du Parc, qui avait probablement suivi de près la construction du château. L'église Notre-dame de Runan conserve son gisant. 1451. - Jean Péan de la Roche-Jagu est élevé à la dignité de banneret. 1466. - Son fils, Pierre Péan, devient lieutenant général du duc pour l'évêché de Tréguier. Le chemin de ronde ainsi que quelques aménagements intérieurs, chapelle, cheminées et baies, remontent à cette époque. 1487. - La Roche-Jagu est érigé en baronnie. Il reste peu de chose du château, légué au Conseil général par le vicomte Gaëtan d'Alès en 1958, et de ses 7 hectares. Aujourd'hui, se dresse fièrement une forteresse militaire du XVe siècle rénovée dominant un méandre du Trieux. Autour, près de 60 hectares ont été peu à peu acquis par le Département. Depuis 1992, une partie est devenue jardin ; le reste est composé de bois (notamment le bois d'Alès) et de champs, achetés peu à peu pour conserver au site, classé depuis 1974, une unité paysagère et écologique. Champ de sarrasin, lin, chanvre, messicoles, bleuets, coquelicots, ajoncs, bois de camélias, frênes, hêtres et chênes, néfliers, pommiers, châtaigniers, figuiers, noyers, noisetiers, églantiers, ronciers, roseraies, palmiers, arums, iris, cistes, camphriers, agaves, bananiers, grenadiers. Ici, l'Homme a fait alliance avec la nature. Une nature en semi-liberté que l'artiste Bertrand Paulet a su faire dompter sans prétendre l'emprisonner. En 1987 éclate une violente tempête dont la France entière se souvient. La Roche-Jagu en profite pour se rappeler au bon souvenir de ses seigneurs et maîtres. qui ne peuvent hélas que constater l'étendue des dégâts. C'est le début de la renaissance du domaine. Bertrand Paulet, architecte-paysager, est missionné par le département pour prendre en mains cet immense chantier. Le château rénové, le parc créé, les jardins aménagés, des animations estivales proposées, les visiteurs ne se font pas attendre. En augmentation constante depuis quelques années, ils sont aujourd'hui 200 000 chaque année à investir « leur » domaine, pour une balade, un déjeuner au restaurant du château, une visite de l'exposition estivale, un parcours guidé dans les jardins, un coup d'oil panoramique depuis le promontoire, un pique-nique, un spectacle d'été, ou une discussion enfiévrée avec un jardinier qui entretient son damier de simples (plantes médicinales). On va à la Roche-Jagu et on y revient, sans se lasser. Chaque période de l'année possède ses beautés particulières. Les couleurs passent et se vivifient au rythme des saisons. Les 600 pieds de camélias sont en fleur en hiver. Un tapis de pétales du blanc au grenat jonche le sol au printemps. Les rigoles, canalettes, bassins et étangs regorgent d'eau et le vent joue avec leurs surfaces les jours de pluie. Il y a toujours une raison « d'aller faire un tour au château », comme disent les gens d'ici.