Imprimer
Seigneurie ou maison noble
Bodegat
MOHON
56490
Morbihan
56

L'antique seigneurie de Bodegat avait son siège dans la paroisse de Mohon, à un kilomètre au nord-ouest du bourg et à une lieue au sud de la Petite ville de la Trinité-Porhoët. Son manoir, bien fortifié au Moyen-âge, était placé dans un bas-fond, sur la petite rivière du Ninian, dont les eaux remplissaient les douves en toute saison. Au XVIIème siècle, il commença peu à peu à être abandonné par ses propriétaires, les de Sévigné. Le défaut d'entretien et les injures du temps en amenèrent la destruction. A la Révolution, il ne restait plus que des murs écroulés, dont les pierres ont aujourd'hui disparu (1876). Le terrain est passé à la fabrique de Mohon. 1° La première fois que la famille de Bodegat nous apparaît, elle est déjà de vieille souche. Le nom de Charles fut, il semble, donné aux aînés, Carolus : de là le nom de Caro, traduction du temps, qui devint presque patronymique pour elle. En 1248, Eudes de Bodegat accompagnait Jean Le Roux, duc de Bretagne, à la croisade de saint Louis. Il prenait passage, de Chypre à Damiette, sur le même navire que Hamon Le Denain, Geoffroi L'Epine et Philippe de Juigné, breton comme lui (Pol de Courcy). Il laissait au moins un fils du nom de Charles. Caron filius Eudonis de Bodegat. (Morice, I. 960). Les actes de partages des enfants d'Eudon III, comte de Porhoët, nous apprennent que leurs intérêts se trouvaient mélangés dans la petite ville de la Trinité et des alentours. Des arrangements définitifs eurent lieu en 1248, et Bodegat releva, pour l'avenir, surtout des comtes de Josselin-Fougères. A cette époque, Charles avait des enfants, puisque le partage en question parle de son fief et de celui de ses enfants (Morice, I. 934). Nous ne savons pas le nom de sa femme, déjà morte ou qui mourut bientôt. Charles était aimé de son suzerain, Raoul III, baron de Fougères, marié à Isabelle de Craon. Au mois d'avril 1255, il en reçut plusieurs bienfaits pour lui et pour sa postérité. La forêt de Lanouée touchait à son manoir de Bodegat ; Raoul lui accorda l'usage des bois de haute futaie pour les réparations de sa maison ; — du bois sec, les branchages pour l'entretien de ses foyers ; — la permission d'y mettre soixante pourceaux pour y faire le glandée ; — de couper des bruyères et des ajoncs pour ses écuries et ses fumiers. — Ces dons étaient faits à perpétuité, et si quelqu'un des enfants et des héritiers du baron de Fougères devait un jour vouloir les révoquer, il ne le pourraient faire qu'en donnant dix livres de rente annuelle à Caro et à successeurs, ainsi que les prairies qui séparaient le manoir de Bodegat de la forêt de Lanouée (Morice, I. 960). Raoul III étant mort immédiatement après la donation que nous venons de voir, sa veuve, Isabelle de Craon, se trouvant libre de convoler à de secondes noces, épousa Charles de Bodegat, devenu veuf, lui aussi. Raoul et Isabelle avaient eu une fille, Jeanne de Fougères, qui devint l'épouse de Hugues de Lusignan. Or, des contestations ayant eu lieu à l'occasion de biens et d'intérêts, par acte de l'an 1257, Hugues constitua la dot de sa belle-mère et de son nouveau mari Caro, en leur donnant la jouissance du Porhoët, sauf la forêt de Lanouée (Morice, I. 968). C'était une brillante fortune pour Charles de Bodegat. Isabelle de Craon ne donna point de nouveaux enfants à Caro ; mais il en avait eu d'une première femme. Quels furent ces enfants ? Nous ne pouvons répondre à cette question. Au mois de novembre 1271, Allain, vicomte de Rohan, faisait des acquisitions de propriété ; Eudes de Bodegat, Eudone de Bodegat, assista à la confection de l'acte en qualité de témoin (Morice, I. 1025). Pierre ou Perrot de Bodegat fut un des témoins de l'accord fait entre le vicomte de Rohan et Hervé de Léon au mois de mars 1288 (Morice, I. 1087). Au mois de décembre 1298, Alain de Rohan fit le partage de ses frères cadets, Karou, ou Caro, ou Charles de Bodegat, apposa son sceau sur l'acte (Morice, I. 1133). Le contrat de mariage d'Olivier de Rohan et d'Aliette de Rochefort fut fait au mois d'avril 1307. Caro de Bodegat et Pierre, son frère, furent présents et témoins, N'ayant point son sceau, Karou ou Caro fit Raoul du Croux apposer le sien à sa place (Morice, I. 1213). Le sceau de Pierre, apposé sur le titre, portait : « à trois besans ou tourteaux, 2 et 1, et au lambel de trois pièces ». C'était l'écusson de la famille. Cependant, le lambel devait annoncer que Pierre de Bodegat était le cadet. Au mois d'octobre 1307, Olivier, vicomte de Rohan, fit un accord avec Thomase de la Roche, sa mère. Il fut convenu que, si de nouvelles difficultés s'élevaient entre eux, il s'en rapporteraient désormais au jugement de J. de Quellenec et de Pierre de Badegat (Morice, I, 1416). En 1319 et 1320, Caro de Bodegat était mort, et sa veuve, Aliette ou Aliénor de Montauban, peut-être de la Chapelle (en ce dernier cas, sa mère aurait été une de Montauban), recevait vingt-cinq livres de rente d'Olivier, seigneur de Montauban, réversibles, en cas de décès, sur Olivier de la Chapelle, maréchal de Bretagne (Morice, I. 1278-1261). Nous avons ici les noms des père et mère du fameux Caro de Bodegat, l'un des héros du combat des Trente. Yves de Bodegat, au mois de juin 1341, fut présent à l'inventaire des monnaies trouvées à Nantes, dans le trésor de Jean III, après sa mort (Morice, I. 1415). Nous sommes arrivés au Combat des Trente, qui eut lieu entre Ploërmel et Josselin, le 27 mars 1351. Nous ne raconterons point ce beau fait d'armes, si connu de tous et qui donna un magnifique relief à la bravoure bretonne. Caro de Bodegat fut un des trente chevaliers choisis par Jean de Beaumanoir. Au premier choc, il reçut un violent coup de maillet qui le renversa tout meurtri, et le rendit prisonnier de Bembro, chef des Anglais. Mais Geoffroi du Bois reconnaissant Bembro, s'acharna à le combattre et le tua. D'après les usages du temps, cette mort rendait la liberté à Caro qui, malgré ses blessures, reprit son rang parmi ses compagnons et combattit comme un lion jusqu'à la fin de la lutte. Le premier juillet de la même année, trois mois après l'affaire de Mi-Voie, nous le retrouvons à Dinan, dans une revue, et faisant alors partie des gens d'armes de Thibaud de Rochefort. Ensuite le silence le plus complet se fait sur son nom et sa personne (Morice, I. 1470). Le 20 avril 1381, Guillaume et Eudes de Bodegat signent le traité de Guérande (Morice, II. 276). A la fin du XIVème siècle, la branché aînée des Bodegat disparaît du manoir des ancêtres, probablement par le mariage d'une fille unique avec un membre de la famille de Tréal, et y était remplacée par cette dernière famille. Ce qui nous fait croire à une alliance, c'est que, d'après un procès-verbal, dressé le 25 juillet 1741, la chapelle de Bodegat, dans l'église de la Trinité, renfermait un écusson antique et double des Bodegat et des Tréal. D'un côté : de gueules à trois tourteaux d'hermines ; de l'autre : de gueules au croissant bureté d'argent et d'azur. Mais, avant de nous occuper de la famille de Tréal, disons quelques mots des derniers de Bodegat. En 1398, Jean de Bodegat était l'époux de Catherine de Caler, dame de Caler, en la paroisse de Ménéac. Ils habitaient le château de la Riaye, en cette commune (Archives de la Riaye). En 1406 et même en 1450, nous retrouvons Catherine de Caler à la Riaye (Ibid). A la réformation de 1427, la branche des Bodegat de la Riaye était représentée par Alain, fils de Jean et de Catherine, qui, en 1418, le 24 juin, se présentait déjà à Crous, près de Bourges, à la tête de huit écuyers (Morice, II. 963). Les comptes rendus en 1419, 18 mai, nous montrent qu'il avait reçu 10 livres pour avoir accompagné et servi le Duc de Bretagne pendant son voyage des mois de février et mars de l'année précédente, à Rouen, devers le roi d'Angleterre (Morice, II. 979). — Le 1er septembre 1449, le Duc de Bretagne exemptait Alain de Bodegat de services militaires envers sa personne, à raison des services spéciaux qu'il devait au vicomte de Rohan dans ses châteaux de la Chèze, Rohan et Josselin (Morice, II. 1513). Alain de Bodegat était en bon termes avec la famille de Rohan, puisque, en 1450, il maria son fils Caro ou Charles à Marie de Rohan, de la maison du Gué de l'Isle (Père Anselme). — En 1460, Caro était seigneur de la Riaye. En 1471, Guillaume de Coëtlogon lui rendait aveu, en qualité de tuteur de Jean, son fils, pour certaines terres. — En 1478, Jean Loret, sieur de la Villedavj, en Mauron, lui rendait également aveu pour d'autres terres (Archives de la Riaye). En 1479, Caro fit montre, avec les nobles de l'archidiaconé de Porhoët, en équipage d'hommes d'armes, à deux archers, un coustilleur et un page. Mais son destrier ne fut point approuvé par les commissaires de la montre, et il reçut injonction de fournir un cheval de prix. Caro avait une soeur du nom de Marie, née comme lui d'Alain de Bodegat et de Jeanne de Limur, qui elle-même était fille de Charles de Limur et de Jeanne de Malestroit, qui fut mariée à Bertrand des Cognets, seigneur de Golilée (Généalogie de Bréhant, 147). Caro et Marie étaient les enfants d'Alain de Bodegat et de Catherine de Kerautem (Ibid. 88). Caro, fils d'Alain, eut plusieurs enfants de Marie de Rohan, entre autres Charles ou Caro, qui lui succéda à la Riaye et qui épousa Françoise Le Moine. La chapelle de la Riaye porte l'inscription suivante : « L'an 1540, Caro de Bodegat et Françoise Le Moine, sa femme, firent cette chapelle ». Ils refirent probablement leur manoir aussi, car il porte le cachet de cette époque. En 1511, Caro, sieur de la Riaye, recevait commission de tenir la montre des francs-archers pour l'évêché de Saint-Malo (Morice, III. 901). Pierre de Rohan, baron de Pontchâteau, par acte du 22 juin 1518, mit au nombre de ses exécuteurs testamentaires Caro de Bodegat, sieur de la Riaye, son maître d'hôtel (Morice, III. 946). Charles de Bodegat et Françoise Le Moine eurent un fils et une fille. Ils marièrent leur fille Anne, en 1510, à Jean de la Châtaigneraie, sieur de Marsan et leur fils mourut bientôt, sans alliance et sans laisser de postérité (Archives de la Riaye). 2° Venons maintenant à la famille de Tréal, qui occupe le manoir de Bodegat, famille très-ancienne, dont on trouve déjà des traces dans le Cartulaire de Redon. Jean de Tréal possédait Bodegat au commencement du XVème siècle, en 1419. Des habitants des Touches, en Mohon, lui rendaient aveu en sa qualité de propriétaire du lieu (Archives de la Riays). Dès 1403, ce Jean de Tréal était maître d'hôtel du duc. Jean V (Morice, II. 736). — En 1431, il était aussi gouverneur de Mgr Pierre de Bretagne (Morice, II, 1233). En 1421 et 1423, nouveaux aveux rendus par les habitants de Mohon à Jean de Tréal, seigneur le Bodegat (Archives de la Riaye). Bertrand de Tréal est possesseur de Bodegat en 1433, et des aveux lui sont rendus en cette qualité (Archives de la Riaye). Nommé gouverneur de la ville de Saint-Malo, l'évêque, Amauri de la Motte, le fit venir devant lui, dans l'église cathédrale, le 20 juillet 1433, et lui présentant la croix et le missel, il lui dit « Vous jurez devant Dieu et sur son saint Evangile que, dans la garde de cette cité et ville de Saint-Malo, vous serez le véritable et loyal serviteur de M. le Duc de Bretagne ; — que vous serez tel aussi envers l'évêque et le chapitre du lieu ; — que vous emploierez votre autorité pour garder les libertés et franchises de la juridiction de la seigneurie, sans souffrir l'oppression de ses sujets ; — que vous serez en aide à ladite seigneurie pour qu'elle n'éprouve aucun changement, aliénation, ou transfert et oppression ; — que, ni par mer, ni par terre, vous ne permettrez la levée des troupes et actes de guerre sans la volonté et la permission de Mgr le Duc de Bretagne ; — que vous ne souffrirez qu'aucun dommage soit causé à la cité, à la seigneurie, à l'église, au territoire et sujets de Saint-Malo ; — que vous ferez votre possible pour conserver le bien et la décence des mœurs publiques, soit de votre personne, soit par vos agents, soit par les officiers de la capitainerie ; — que s'il arrive à votre connaissance des choses difficiles et importantes vous les révélerez à Mgr le Duc, à l'évêque et au chapitres, suivant les cas. — Maintenant, prononcez votre serment en répondant : Amen ». Bertrand de Tréal dit : Amen ! Le tout s'étant passé devant et sur le maître autel de l'église de Saint-Malo (Morice, II 1257). Le Duc de Bretagne devant faire un voyage à Calais, en 1442, eut besoin d'argent ; Bertrand de Tréal lui prêta 200 livres (Morice, II. 1270). Les titres des archives de la Riaye nous montrent Jean de Tréal succédant à Bertrand dans la seigneurie de Bodegat, vers 1450. Plusieurs aveux lui furent rendus, dont quelques-uns constatent qu'il y résidait. Il était à cette époque maître d'hôtel du Duc de Bretagne (Morice, II 1604, 1627). Jean de Tréal, en 1475, fit un échange avec Amauri Guiho de terres, situées dans les paroisses de Mohon, Bignon et Plumieux. — Le 1er mai 1478, plusieurs habitants de Mohon lui rendirent aveu. Il résidait toujours à Bodegat. En 1484, Jean Prijent, sieur de Pengréal, en Plumieux, lui rendait aussi aveu pour quelques-unes de ses terres. Après cela il disparaît. Il était le dernier des Tréal de Bodegat. Sa fille, Gilette, avait épousé Guillaume ou Guyon de Sévigné (Archives de la Riaye). 3° Le 3 mars 1492, le 10 janvier 1497, des aveux furent rendus à Guillaume ou Guyon de Sévigné, seigneur de Bodegat, époux de Gilette de Tréal (Ibid). En 1509, Guyon ou Guillaume de Sévigné, sieur des Rochers et du Châtelet, rendait aveu à Jean, vicomte de Rohan, comme garde naturel de son fils Christophe, seigneur de Tréal et de Bodegat, pour cette dernière seigneurie. Sa femme, Gilette de Tréal, était morte (Ibid). Il paraîtrait que Christophe vécut peu, car, le 19 mars 1513, Guyon recevait des aveux pour Bodegat en qualité de garde naturel d'un autre fils, nommé Jacques de Sévigné (Ibid.). Pendant les années 1520 et 1529, les aveux sont rendus à René du Matz et à son épouse, Bertranne de Sévigné, qui avait sans doute succédé à ses deux frères à Bodegat (Ibid.). On ne sait par quelles circonstances René du Matz et sa femme Bertranne disparurent vite, car le 11 juillet 1533, noble et puissante demoiselle Renée Baratou, douairière de la Touche, Bureau et Bodegat, tenant cette dernière seigneurie par douaire et usufruit, et aussi en qualité de tutrice et garde noble de son fils Joachim, seigneur de Sévigné, des Rochers, de Vigneu, de Tréal, de Bléheban, rendait aveu à la seigneurie de Porhoët, c'est-à-dire à Marguerite de Rohan, reine de Navarre, qui le recevait, comme tutrice d'honneur, de René, vicomte de Rohan, comte de Porhoët. — Un minu du même aveu fut déposé entre les mains des officiers du vicomte de Rohan, à la Trinité, le 15 août 1534 (Ibid.). En 1554, Joachim de Sévigné et le seigneur de la Marzelière recevaient du duc d'Etampes, gouverneur de Bretagne, commission de mettre bonne justice à la conduite des capitaines des francs-archers, dans le diocèse de Rennes (Morice, III. 1120). Le 21 novembre 1555, Joachim de Sévigné fut témoin de l'accord fait entre les habitants de Guingamp et le comte de Penthièvre (Morice, III. 1152). Le 21 avril 1558, Joachim de Sévigné, seigneur dudit lieu, de Tréal, de Bodegat, était du nombre des délégués envoyés par les Etats de Bretagne, siégeant à Vannes, au roi Henri II, pour obtenir la suppression de certains officiers de justice (Morice, III. 1210). Le 8 septembre 1558, Joachim de Sévigné étant à Paris pour soutenir un procès, écrivit au duc d'Etampes pour l'assurer de ses bons sentiments au service du Roi (Morice, II. 1130). Le 10 avril 1590, de Sévigné, seigneur d'Olivet étant du nombre des Ligueurs rebelles de la ville de Vitré, fut décrété de prise de corps (Morice, III. 1507). En 1597 et les deux années suivantes, des aveux furent rendus à Jacques de Sévigné, seigneur de Bodegat, Buron, Vigneu, Couëron, etc., par les habitants de la paroisse de Mohon (Archives de la Riaye). Le 10 octobre 1621, un aveu était rendu par Pierre Courtel, de la paroisse de Mohon, à Marie de Sévigné, dame douairière d'Olivet, des Rochers, du Buron, de Tréal, de Baraton, Vigneleu, Bléheban et Bodegat (Ibid.). Le 6 mars 1624, le 26 juillet 1634, aveux rendus à la même pour des terres relevant de Bodegat (Ibid.). Le 7 juillet 1640, Renaud de Sévigné, seigneur du lieu ; du Buron, des Rochers, de Tréal, de Bléheban, Montmuron et Bodegat, rendaient aveu pour cette dernière seigneurie à Marguerite de Rohan, à cause de la succession arrivée audit Renaud de Sévigné par décès de Joachim de Sévigné et de dame Marie de Sévigné, son épouse, par représentation de feu Charles de Sévigné, leur fils aîné et héritier principal, qui était son père (Ibid). Le 14 décembre 1640, Renaud de Sévigné était qualifié du titre de tuteur honoraire de Henri de Sévigné, seigneur de Bodegat (Ibid). Ce Henri de Sévigné, né en 1624, épousa le 4 août 1644, Mlle Marie de Rabutin Chantal, née le 5 février 1627, qui est devenue si célèbre par ses lettres à sa fille, madame de Grignan, et à tant d'autres. Henri fut tué, en duel le 4 février 1651. Il laissait sa veuve, âgée de 24 ans, chargée de deux enfants, une fille du nom de Marguerite, et un fils du nom de Charles. Marguerite épousa M. de Grignan en 1669 ; Charles épousa Jeanne-Marguerite de Bréhant-Mauron, en 1684. Ces deux derniers n'eurent point d'enfants. Madame de Sévigné devint tutrice de ses enfants. Le 23 octobre 1671, elle rendait aveu pour Bodegat à la juridiction du comté de Porhoët, dans les termes suivants : « Le 23 octobre 1671, a comparu en personne devant nous, notaires de la baronie de Vitré, haute et puissante dame, Marie-Rabutin Chantal, dame propriétaire des baronies de Bourbilly, Chantal et Juvigny, résidant aux Rochers, veuve de feu haut et puissant seigneur Messire Henri de Sévigné, chevalier, vivant marquis du lieu, conseiller du Roi en ses conseils d'État et privé, gouverneur pour Sa Majesté des ville, château et baronie de Fougères, seigneur des Rochers, Bodegat, etc. ; mère et tutrice de Messire Charles de Sévigné, leur fils, héritier principal et noble de, etc. ; laquelle reconnaît et confesse, au dit Nous, être sujette de très-haute et très-puissante dame Marguerite de Rohan princesse de Léon comtesse de Porhoët ; et d'elle tenir prochement et noblement, à titre de foi, hommage et rachat, sous la seigneurie de la Chèze et la Trinité, les, etc. ». Suivent les noms de différentes propriétés de la terre et seigneurie de Bodegat, situées dans les paroisses de Mohon, Plumieux et la Trinité (Archives de M. de Kerpezdron, de la Trinité). Madame de Sévigné a parlé différentes fois, dans ses lettres, de la terre de Bodegat. Citons en quelques extraits : Le 27 décembre 1675, elle écrivait à madame de Grignan : « La princesse de Tarente est étonnée de la manière dont je traite mon fils. Elle n'a qu'un benêt de fils qui n'a point d'âme dans le corps. Elle est bien affligée des troupes qui sont arrivées à Vitré ; elle espérait, avec raison, d'être exemptée ; mais cependant voilà un beau régiment dans sa ville. C'était une chose plaisante si c'eut été le régiment de Grignan. Mais savez-vous qu'il est à la Trinité. (Bodegat et la Trinité se touchaient) J'ai écrit au chevalier de Grignan, non pour rien déranger, car tout est en règle, mais afin que l'on traite doucement et honnêtement mon fermier (général) ; mon procureur fiscal et mon sénéchal. Cela ne coûtera rien, et me fera grand honneur. Cette terre m'est destinée à cause de votre partage ». Le 15 juin 1680, elle écrivait encore à sa fille : « Je vis arriver l'autre jour une belle petite fermière de Bodegat, avec deux beaux yeux brillants, une belle taille, une robe de drap de Hollande, découpée sur du tabis, les manches taillandées. Oh ! Seigneur, quand je la vis je me crus bien ruinée : elle me doit huit mille livres. M. de Grignan aurait été amoureux de cette femme ; elle est sur le moule de celle qu'il a vue à Paris ». En 1732, on constatait que les titres et papiers de Bodegat pouvaient se trouver en partie entre les mains du fermier général actuel, L'Hospitalier ; mais qu'on devait surtout les trouver entre les mains de la veuve Roblot, de la Mulotière, en Mohon, dont les ancêtres, avant elle, avaient géré pendant longtemps les affaires de la seigneurie. « La belle fermière de Bodegat aurait-elle été une Roblot ? ». Une tradition locale, bien constante et bien enracinée, affirme que madame de Sévigné donna à l'église de Mohon deux tableaux peints à l'huile qui s'y trouvaient encore au mois de mars dernier (1876), quoiqu'ils aient beaucoup souffert et aient besoin de nouvelles toiles. Ils se trouvent, en attendant la construction de la nouvelle église, dans une des salles de la mairie. Ils ont une grande dimension. L'un représente la Flagellation ; et l'autre la Descente de la Croix. Tout porte à croire que ce sont des copies faites par les grands peintres du siècle de Louis XIV. Je les ai bien examinés sans pouvoir y trouver de signature d'auteur. On a fait des recherches pour prouver par quelque écrit leur provenance, sans rien rencontrer jusqu'à ce jour. En 1876, l'église de Mohon a été entièrement détruite, car elle avait besoin d'une reconstruction entière. Des fragments de pierre ont prouvé qu'il y eut là, au Moyen-âge, une riche église gothique qui fut remplacée par une autre sans caractère, vers la fin du XVIème siècle. Les enfeux ont été fouillés ; on n'y a trouvé qu'un cœur renfermé dans un vase en plomb parfaitement soudé ; mais sans aucune indication écrite. Il avait été embaumé avec des parfums et rendait encore une odeur fort agréable. Les dires rapportés par Guyot Délandre se sont trouvés sans fondement. Charles de Sévigné étant mort en 1713, ses biens revinrent à la fille de sa soeur, Pauline de Grignan, mariée en 1696, à Louis de Simiane ; Bodegat lui échut comme le reste. Le 16 octobre 1716, M. Troussier et Mlle Boudard de la Trinité-Porhoët, rendirent aveu à M. de Simiane, baron de Bourbilly, seigneur de Bodegat, etc., premier gentilhomme de Son Altesse Royale, Mgr le duc d'Orléans, régent de France, et lieutenant pour Sa Majesté Louis XV au gouvernement de la Province (Archives de la Riaye). Louis de Simiane fit de mauvaises affaires, et sa veuve, Pauline de Grignan, demeurant à Aix en Provence, vendait, le 15 décembre 1732, la terre et seigneurie de Bodegat à M. Charles-Morice du Plessis de Grénédan, de La Riaye, en Ménéac, pour la somme de quatre-vingt-quinze mille livres, et cinq mille livres de pot de vin. D'après l'acte de vente, les propriétés de Bodegat consistaient en terres vaines et labourables, mais surtout en rentes foncières et en redevances annuelles. Depuis bien longtemps, les rentes de la seigneurie étaient entre les mains d'un fermier général qui payait pour elles environ 4.500 livres chaque année. Une seule charge perpétuelle pesait sur la propriété, et consistait à payer une somme de 25 livres, chaque an, à la fabrique de Mohon, pour un service religieux. Une autre charge temporaire consistait à servir, sur la même propriété, une rente viagère de 2.400 livres à Jeanne-Marguerite de Bréhant-Mauron, par suite de transaction relative à son contrat de mariage. Elle mourut en 1737. — Les archives de la seigneurie devaient arriver aux mains de l'acquéreur ; l'acte constate qu'elles étaient presque nulles par suite de l'incurie des fermiers généraux. 4° Avant de finir, mentionnons quelques droits féodaux de la seigneurie : Le 18 août 1534, Renée Baraton, mère et tutrice de Joachim de Sévigné, constatait que Bodegat avait haute, moyenne et basse justice, en érigeant de nouveau trois poteaux dans la prairie située entre le château et la forêt de Lanouée. Le 18 avril 1535, par suite de contestation de son droit, elle en fournissait les preuves aux plaids généraux tenus à la Trinité. Les propriétaires de Bodegat étaient seigneurs fondateurs de l'église de Mohon. Ils y avaient droit d'enfeu, de prééminence et d'écusson, ainsi que de bancs prohibitifs, à sept places, des deux côtés du maître autel. Les partages des enfants d'Eudon III, comte de Porhoët, mort en 1231, constatent que les droits de la seigneurie de Bodegat étaient déjà, depuis longtemps, mélangés avec ceux du comté dans la ville de la Trinité. Tous les aveux rendus depuis constatent ce mélange. Nous allons résumer ces droits. D'abord, Bodegat avait une chapelle privative dans l'église de la Trinité, qui avait les comtes de Porhoët pour fondateurs. Dans cette chapelle, elle avait un enfeu, des écussons qui reproduisaient ceux des familles de Caro, de Tréal et de Sévigné, tantôt seuls, et tantôt en alliance. Un procès-verbal du siècle dernier constatait que les verrières en étaient magnifiques. Les Caro aimaient sainte Anne ; leurs chapelles étaient sous son patronage. De tout temps Bodegat avaient possédé les deux tiers des droits de coutume sur les foires et marchés de la ville de la Trinité ; l'autre tiers appartenait aux comtes de Porhoët. La foire qui précédait la fête patronale à la Trinité durait plusieurs jours au Moyen-âge, et était une des plus suivies du pays. Bodegat y avait tous les droits ; ses officiers y étaient les maîtres. Ils arrivaient un moment avant l'ouverture, précédés d'une musique champêtre, montés sur de brillants coursiers, le gant à la pointe de la pique. Ils parcouraient la ville ; tout le monde dans l'attente, et le sergent bannier criait : « Défense, jusqu'à telle heure, de vendre et d'acheter, sous peine de 60 sols d'amende et confiscation de marchandises ! ». Sous le porche d'une maison, au nord des halles, à la vue du public, une table proprette, portant une miche, du beurre, des cerises s'il se pouvait, sans manque la bouteille du cru, attendait les officiers qui ne l'oubliaient point. Alors le commerce pouvait prendre son essor, les transactions se faire... mais gare aux filous ! nos officiers veillaient. Sur la fin, les officiers remontaient sur leurs coursiers, la musique champêtre les précédant, et le sergent bannier criait : « Les droits du seigneur ! ». Chacun payait, soit en particulier, soit par corporation. Les bouchers devaient une joue de cochon avec son oreille. La police aussi était faite. - Écoutons un de ses brillants défenseurs dans un moment difficile : « Monsieur le comte du Plessis de Grénédan, je me suis rendu aux fêtes de la Trinité pour maintenir vos droits. M. Gicquel, avocat, me dit que les juges de M. le duc de Rohan prétendaient avoir la police. Comme je pense différemment, et que le droit de police est un des plus beaux que vous ayez à la Trinité pendant les fêtes, je commençai par l'exercer. Les demoiselles Londois et Rouillé s'étant plaintes à moi que le coutumier voulait leur augmenter le droit d'étalage sous les halles, je mandai cet homme et lui prescrivis ce qu'il devait prendre. Les cavaliers de la maréchaussée ayant mis en prison un homme qu'ils croyaient vagabond, je le fis sortir sur l'attestation de plusieurs gentilshommes du canton, qui m'affirmèrent n'en avoir point entendu dire du mal. On me représenta très-vivement que M. Courtel voulait la police pour M. le duc de Rohan : je lui répondis qu'elle m'appartenait, et il fallut bien passer par où je voulus. Je ne pourrai exercer votre juridiction à l'avenir, mes affaires ne me le permettant pas. Choisissez un homme ferme et éclairé, pour ne pas se laisser tromper par leurs subtilités et leurs menaces. Votre juridiction à de très-beaux droits, des droits qu'il est bien rare d'avoir. Les officiers de M. de Rohan ont fait et feront l'impossible pour les anéantir, parce qu'ils y sont intéressés. Il est douloureux pour eux de n'avoir ni police, ni justiciement dans leur propre ville pendant les jours les plus solennels : avisez et veillez. On m'a assuré que, l'année prochaine, tout le barreau de la Trinité devrait marcher en robe de cérémonie de justice aux offices et procession de la fête patronale. Si j'étais encore votre juge de Bodgat j'y marcherais aussi et j'aurais le pas. Je l'aurais fait dès cette année, et seul, si je n'avais oublié ma robe... Josselin, ce 20 juin 1772. Taslé ». L'aveu rendu par madame de Sévigné, le 23 octobre 1671, disait : « Pendant les jours des vendredi et samedi qui précèdent la fête patronale de la Trinité, les officiers de la juridiction de Bodegat ont plein droit à la connaissance de tous les délits et forfaits qui se commettent tant en la foire qu'en l'assemblée des pèlerins et voyageurs qui se rendent au pardon, et peuvent prononcer toutes les peines et confiscations en dernier ressort. Les amendes et confiscations opérées reviennent à ladite dame de Sévigné pendant les deux jours de foire et le jour de la fête de la Sainte-Trinité.... Ladite dame confesse aussi que, pour ces droits, elle doit, pendant ces jours, mettre un sergent bannier à la disposition des officiers de M. de Rohan pour faire toutes leurs bannies ». La seigneurie de Bodegat était obligée de rendre un devoir fort singulier et très plaisant au seigneur de Thymadeuc, de la paroisse de Bréhant-Loudéac. En 1733, maître Ladouet, procureur de Thymadeuc, fit des réclamations sur un papier timbré que j'ai tenu, non sans rire, entre les mains. — Deux hommes de la seigneurie de Bodegat devaient au nom de leur maître, se rendre la nuit de Noël, au moment du son de la messe de minuit, au bourg de Crédin, à la porte du manoir de Thymadeuc. Ils frappaient plusieurs coups, car on faisait semblant de ne pas les entendre. Enfin, du dedans on criait : « Qui est là ? ». — Les envoyés répondaient : « Devoir de Bodegat ! » et, à partir de cet instant jusqu'à la fin de leur mission, ils devaient garder un silence absolu. On les introduisait dans le grand salon, au milieu de nombreux assistants tout en joie. Là ils mettaient les pieds devant le gros tison de Noël, et se chauffaient un peu plus que suffisamment.... Ils faisaient alors trois fois le tour de la grande table, et à chaque tour.... mais comment le dire ? — Supposez la seizième lettre de l'Alphabet traversant brusquement et avec la sonorité du gaz comprimé la dix-septième.... Si c'était réussi, on se mettait joyeusement à boire du cru ; autrement c'était l'amende. Partons de Thymadeuc avec les amusants convives. — Le dernier devoir de Bodegat est rendu [Note : Remerciements à M. le Marquis du Plessis de Grénédan, qui a mis avec une grande bienveillance ses archives de la Riaye à ma disposition] (Piéderrière, curé-doyen de la Trinité-Porhoët, 1876